Variations : dialectes traditionnels 2

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Dans ce chapitre, nous abordons les dialectes plus traditionnels, en nous concentrant sur l'ouest et la côte de la Croatie.

On retrouve les dialectes de Dalmatie, dans le centre et le sud de la côte croate, très présents dans la vie publique au moins depuis les années 1960 et jusqu'à la fin des années 1970 grâce à une politique promouvant les dialectes traditionnels ; plus de détails seront fournis dans le chapitre consacré à l'histoire (qui n'est pas encore disponible).

C'était au moment du festival de musique de Split, et parallèlement était diffusée une série télévisée « kaïkavienne » Mejaši dont l'histoire se déroulait sur une petite ville dalmate, Naše malo misto Notre petite ville –. Cette série TV était composée de 14 épisodes d'une heure – et elle devint très populaire.

De nombreuses chansons du festival de Split mélangeaient le dialecte moderne de la ville de Split et certains dialectes traditionnels de la côte et des îles environnantes ; ces dialectes sont communément appelés « čakavian ». Cela dépendait essentiellement de la personne qui écrivait les paroles.

L'une de ces chansons date de 1975. Le compositeur Zdenko Runjić cherchait des chansons pour le festival et demanda à l'écrivain Tomislav Zuppa de composer une chanson. Elle ne lui plut pas vraiment au début, mais il finit par en composer la musique, en pensant qu'elle pourrait être chantée par un "klapa", c'est-à-dire un groupe de quelques chanteurs à capella selon la tradition sur la côte dalmate mais Oliver Dragojević, encore peu connu, lui demanda de l'interpréter au festival. IL arriva en huitième position des votes. Voici le début de la chanson :

Lipo mi je, lipo mi je Je me sens bien, je me sens bien
Na lažini suvoj ležat S'allonger sur l'herbe marine sèche
Na osami blizu mora Dans un endroit isolé au bord de la mer
Nad pučinom tebe gledat Pour te regarder au-dessus de la mer ouverte
A... moj galebe Ah, mon goéland

Un peu plus loin, on trouve les vers suivants :

Povrh svega nimat straja Par-dessus tout, ne pas avoir peur
Pa prkosit svakoj buri Et défier tous les vents
I neveri, ča sve vaja Et la tempête qui...

La dernière ligne contient le mot révélateur pour quoiča – qui a donné son nom à l'ensemble du groupe de dialectes « čakavian ».

Cependant, au cours des années qui ont suivi, cette chanson devint peu à peu populaire ; souvent interprétée pour finir par être reconnue comme la plus grande chanson jamais interprétée au festival de Split. La chanson – Galeb i ja – parfois connue sous le nom de Moj galebe – est aujourd'hui reconnue comme l'une des plus grandes chansons croates de tous les temps.

Un autre auteur aurait pu écrire des paroles plus compréhensibles – en tout cas pour les étrangers, bien sûr. Par exemple, Jakša Fiamengo (originaire de l'île de Vis) a écrit ces vers (également interprétées par Oliver Dragojević en 1982) :

Niz skaline s puno dice En bas des escaliers avec beaucoup d'enfants
[ča se penju do fortice] [Cette ascension vers la forteresse]
    karoca gre     La charrette avance
di gariful lipo cvate Où les œillets fleurissent joliment
i kroz dane [ča se zlate] À travers les jours [qui brillent]
    gre, karoca gre     Ça roule, la charrette roule

Le terme qui revient le plus souvent – gre – est bizarre, mais d'après le contexte, on peut en déduire son sens : aller qui a des formes irrégulières au présent et au passé dans ces dialectes :

iti (gre, šal, šla) aller (‘Čakavian’)

(Le verbe gresti est utilisé dans certaines régions ; comme d'habitude, ces irrégularités apparaissent lorsque deux verbes sans rapport entre eux sont utilisés de manière interchangeable.)

Où parle-t-on ces dialectes ? Si on observe la carte des dialectes, on constate qu'ils sont parlés presque exclusivement dans les îles, dans le nord de la côte et dans quelques endroits isolés de la côte dalmate. Cependant, aujourd'hui, beaucoup de ces villes se sont développées et, à Split par exemple, la plupart des gens ne parlent certainement plus le « čakavian ». Cette carte représente à nouveau mon estimation du nombre de locuteurs (chaque point noir représente 10 000 personnes) par rapport à la population totale de la Croatie.

Comme on peut le constater, peu de personnes parlent le « čakavian » : on peut compter à peine plus de 20 sur 408, ce qui signifie qu'aujourd'hui, pas plus de 5 à 6 % de la population croate parle le « čakavian ». La plupart des locuteurs se trouvent aujourd'hui en Istrie et dans la région de Rijeka, c'est-à-dire dans les régions occidentales de la Croatie. Un festival de musique dans cette partie de la Croatie, appelé « Mélodies d'Istrie et de Kvarner » avait lieu, mais il n'était pas très connu dans les autres régions, et peu de personnes extérieures avaient donc l'occasion d'entendre parler leurs dialectes.

Les dialectes « čakavians » varient beaucoup. En fait, ils n'ont que quelques points communs. Il est particulièrement difficile de déterminer si certains dialectes sont « čakavieni » ou « kajkaviens », car ils présentent un mélange de spécificités. En règle générale, les dialectes du sud-est (c'est-à-dire de la Dalmatie) ont plus en commun avec le croate standard, et en particulier avec les dialectes « ikaviens » voisins (non « čakaviens »), tandis que les dialectes du nord-ouest ont plus en commun avec les dialectes « kajkavien et aux dialectes parlés en Slovénie, mais certaines caractéristiques du nord-ouest sont différentes de celles du kajkavien.

Par exemple, le verbe perfectif pour « venir » est similaire au verbe standard et fondamentalement identique à celui du kajkavien dans les dialectes du sud-est, tandis que le verbe utilisé dans le nord-ouest est différent et fondamentalement identique à celui utilisé dans les dialectes de l'autre côté de la frontière, en Slovénie :

dialecte perf. venir
« Čakavian » (nord-ouest) priti (pride, prišal, prišla)
« Čakavian » (sud-est) dojti (dojde, došal, došla)
« kaïkavian » dojti (dojde, došěl, došla)
standard doći (dođe, došao, došla)

En réalité, nombreuses sont les personnes à dire dojdi car ils sont issus d'émigrés en provenance de Dalmatie, venus se réfugier au XVIe siècle, suite aux guerres ottomanes. Ce qui explique la raison pour laquelle les habitants de nombreuses régions d'Istrie parlent des dialectes « ikaviens », peu connus du reste de la Croatie.

Une décennie après Karoca, se produisit un enchaînement de circonstances important.

En 1993, un beau jeune homme travaillant pour une radio locale à Pula rencontra Livio Morosin, un rockeur et compositeur originaire d'un village voisin, Vodnjan. Peu de temps après leur rencontre, ils sortirent une chanson sur une cassette audio, chez un éditeur local, qui fut diffusée à la radio. Voici le texte :

Magari noć je pred vrati Peut-être que la nuit arrive
magari ninega ni peut-être qu'il n'y a personne,
ja bin triba spati j'ai besoin de dormir
a još mi se ne spi mais je n'arrive toujours pas à dormir
i niki vitar u glavi et une sorte de vent souffle dans ma tête
pensan kadi si ti je pense à l'endroit où tu es

Pour la plupart des Croates, ce dialecte ne leur était pas familier avec un drôle d'accent mais c'était génial.

On retrouve un mot italien très familier magari qui signifie et même, à la rigueur. Le terme eb croate standard est : makar. L'étymologie de ces deux termes est la même avec le mot grec – μακάρι – sachant que le mot standard croate vient du roumain...

Le terme ninega ni correspond au mot standard nikog(a) nema° il n'y a personne. Le premier mot est un génitif particulier avec un -a qui est facultatif dans les villes et en croate standard. Cette forme ancienne est obligatoire dans de nombreux dialectes – mais dans certains, cette terminaison a disparu ou est facultative.

La forme ni est la même qu'en kajkavien (c'est-à-dire qu'elle correspond au nije standard) : les existentiels négatifs dans ce dialecte n'utilisent pas la forme nema° au présent, mais ni°, de sorte que tous les temps des existentiels négatifs utilisent le verbe biti (je² +).

On comprend mieux le texte à présent. On retrouve à nouveau le verbe spati (spi) dormir, et la construction médiopassive avec le datif. Dans la dernière ligne, figure le verbe pensati qui vient de pensare d'origine italienne et qui signifie logiquement penser.

Ici, le mot kadi signifie dans ce dialecte pour les raisons suivantes : au Xe siècle, le mot désignant « où » était kədě dans la région actuelle croate (lettre expliquée au chapitre précédent). La lettre ə dans ce mot a progressivement disparu dans la plupart des dialectes car elle n'était pas accentuée. Cependant, on peut constater que la plupart des dialectes « čakaviens » ont gardé cette voyelle, pour donner kadě. La voyelle ě a évolué et en Dalmatie centrale et septentrionale, elle s'est transformée en i , donnant naissance aux dialectes « ikaviens ». Au XVIe et XVIIe siècles, lorsque l'Empire ottoman a conquis une grande partie de la Dalmatie, beaucoup de Dalmates ont fui vers l'Istrie, en particulier vers le sud et l'ouest, emportant avec elles leur dialecte « ikavien », qu'elles parlent encore aujourd'hui, y compris l'auteur des paroles.

Le chanteur Alen Vitasović a connu très vite du succès avec cet enregistrement sur cassette audio.

Quelques années plus tard, un autre chanteur, encore plus difficile à comprendre, est devenu populaire. Voici quelques lignes tirées d'une de ses chansons :

I kade god san ja pasal
Où que je dorme
ko [da duh moj je ostal]
mon esprit demeurait
i sad on va kamare se skriva
et maintenant il se cache dans la chambre

Ce chanteur était originaire d'Opatija, où l'on parle un autre dialecte, encore plus différent du standard. Ce dialecte a des terminaisons caractéristiques :

qui en čakavien septentrional
Nki
Akega
Dkemu
Lkem, ken
Gkega
Ikim, kin

Également : traduction du Petit Prince de Saint-Exupéry dans le dialecte de la région de Rijeka, plus précisément dans celui du village de Studena, près de la frontière slovène (car le traducteur était originaire de là). Également : quelques livres originaux, dont des livres illustrés pour enfants, de nombreuses chansons et quelques émissions sur les chaînes de télévision locales.

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